La lettre de veille de décembre 2024 : “usines à articles”, “moulins à papiers”, “revues détournées”, “phrases torturées” … corruption et fraudes dans le monde académique
“Avez-vous déjà entendu parler des paper mills, des fermes à articles ou encore des moulins à papiers ?” : c’est la question que nous posait le blog de l’Institut Pasteur en juin 2024. Réponse : “des sociétés qui vendent de grandes quantités d’articles scientifiques frauduleux à des auteurs cherchant à augmenter leur nombre de publications pour obtenir une promotion ou un poste” …
Chercheuse en science sociale à l’Université libre de Berlin, Anna Abalkina, qui a été récompensée par la revue Nature pour son travail sur la fraude, était interviewée le 10 janvier 2025 par The MetaNews,et rappelle que les articles vendus contiennent souvent des plagiats, des données manipulées ou fabriquées. Ils représentent donc un danger pour la communauté académique et la littérature scientifique. “Ces recherches autour des fraudes dans la littérature scientifique méritent d’être reconnues et de nombreuses questions restent ouvertes”, et elle espère qu’il y aura plus de recherches sur le sujet dans un appel publié dans PLOS Biology le 22 novembre 2024, relayé notamment par Hervé Maisonneuve dans son blog (“Paper mills : nous avons besoin de recherches pour mieux comprendre ces arnaques“). Le 2 janvier, il y signale que “Paper, review and citation mills sont des escroqueries qui augmentent” et nous renvoie vers son article “Revues prédatrices et paper mills mettent en péril la gestion des savoirs“, librement accessible jusqu’au 5 février. Selon lui, “cinq facteurs ont influencé ces dérives : la monétisation des résultats de la recherche ; la valorisation du volume des publications ; les défauts de l’évaluation par les pairs ; l’absence d’une certification internationale des revues scientifiques ; l’intelligence artificielle avec le meilleur et le pire. Le système peut perdurer tant qu’il y aura des chercheurs satisfaits, et que les responsables institutionnels ne feront rien.”
Figure 3. Description des services, cibles et tactiques commerciales des paper mills/ H. Maisonneuve, 2025
La dernière Infolettre de l’OFIS mentionnait ainsi un article publié en décembre,“Paper Mill Challenges: past, present and future”, concernant les activités frauduleuses des paper mills qui vendent de faux manuscrits et des statuts d’auteurs, et qui “restent trop peu connues hors du monde de l’édition”. Les auteures “insistent aussi sur l’urgence à se doter d’outils de détection de ces faux articles avant, pendant et après le processus de publication”.
Le même OFIS a aussi mis en ligne le 20 décembre une fiche pratique pour éviter de citer des articles rétractés : “la rétractation d’un article est un mécanisme essentiel pour corriger la littérature scientifique et préserver son intégrité. Pour que ce mécanisme soit entièrement efficace, il tient à tout auteur de veiller à ne pas citer ces articles rétractés.”
En effet, les chercheurs accèdent souvent à des articles scientifiques par l’intermédiaire de sites web non autorisés tels que Sci-Hub, qui contient des articles rétractés, y compris ceux qui ne sont pas étiquetés comme rétractés … Une étude a analysé l’étendue de la disponibilité des articles rétractés dans Sci-Hub, en se concentrant particulièrement sur la présence d’articles rétractés qui peuvent être utilisés par inadvertance dans des recherches ultérieures, propageant ainsi des résultats erronés. Les auteurs soulignent le besoin d’une mise en œuvre rigoureuse des mesures réglementaires sur la rétractation suggérées par le Committee on Publication Ethics (COPE) ou les recommandations récemment publiées par la National Information Standards Organization (NISO).
“En avril 2024, le journal Nature présentait un nouvel outil de détection des articles qui posent potentiellement des problèmes d’intégrité. Son nom : RedacTek. Cette extension de navigateur, disponible sur Chrome, vous permet d’être alerté si l’article que vous êtes en train de lire, ou qui apparaît dans la liste de résultats de votre base de données bibliographiques préférée, a été tagué comme potentiellement problématique”, nous informe le blog Open Science de l’Institut Pasteur le 12 décembre.
“Un collectif de détectives de fraude scientifique alliés à des professionnels de l’édition a tenu colloque le 10 décembre dans les locaux de l’Institut universitaire de France à Paris et vient de publier sa déclaration fondatrice, créant ainsi une nouvelle communauté ayant pour objectif de répondre aux défis liés à l’intégrité scientifique grâce à des méthodes bibliométriques, nous informait par ailleurs The MetaNews le 20 décembre. L’Express publiait un article le 18 décembre sur ces “chercheurs et enquêteurs à l’origine des principales révélations sur les plus grandes affaires de fraude scientifique de ces dernières années”.
Guillaume Levrier analyse dans The Conversation les implications des « phrases torturées » pour la communauté scientifique (ie : remplacer un mot par un synonyme pour copier un article sans se faire démasquer par un logiciel anti-plagiat) : pour lui, “chaque communauté de recherche devra trouver la capacité d’initiative leur permettant de sortir de l’ornière. Cela ne signifie pas qu’il faille sonner le glas de l’article comme mode d’échange d’idées entre chercheurs, ou de la revue comme lieu de formalisation de ces échanges. Mais peut-être faut-il réfléchir à leur donner une place moins centrale, et à redéployer la façon dont ils partagent le processus, le produit, et le récit de leurs recherches.” L’article remet en lumière l’initiative de Guillaume Cabanac, enseignant-chercheur en informatique à l’Institut de Recherche en Informatique de Toulouse (IRIT), qui a créé un outil visant à identifier et corriger ces anomalies constatées sur certaines publications scientifiques.

Problematic Paper Screener
Doit-on en conclure que les canulars scientifiques ne sont pas toujours inutiles ? C’est ce que pense “un chercheur canadien qui a étudié une quarantaine d’articles de recherche parodiques. Selon lui, écrit Le Monde le 17 décembre, ils ont le mérite d’attirer l’attention sur les dérives de certains éditeurs voyous, qui entament la crédibilité de l’ensemble des publications scientifiques.”
Et le reste de l’actualité :
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Laurence Bizien (13 janvier 2025). La lettre de veille de décembre 2024 : “usines à articles”, “moulins à papiers”, “revues détournées”, “phrases torturées” … corruption et fraudes dans le monde académique. Lab & doc. Consulté le 22 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/132ny